Comment savoir si une oeuvre a été divulguée ?

Article publié dans la Gazette Drouot le 6 septembre 2024

Par Hélène Dupin et Marie Alland


Pour pouvoir vendre une œuvre licitement, encore faut-il que sa divulgation ait été autorisée. Quelques réflexes simples permettent aux professionnels de prévenir d’éventuelles difficultés sur ce plan.

Le droit de divulgation est une prérogative morale, prévue par l’article L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle qui accorde à l’auteur le pouvoir de fixer le moment et les conditions de la première mise en contact de son œuvre avec le public. Cela concerne non seulement les œuvres visuelles mais aussi, entre autres, les manuscrits littéraires ou musicaux ainsi que les correspondances considérées comme originales.

Si le recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires ne mentionne pas la problématique de la divulgation, y figure en revanche une obligation de diligence portant notamment sur la vérification de «l’origine de l’objet et les droits des vendeurs».

Or, une œuvre protégée par le droit d’auteur ne peut licitement entrer dans les circuits commerciaux qu’avec le consentement de l’artiste à sa divulgation, à défaut de quoi il existe un risque de poursuites. Il est donc essentiel de vérifier avant toute vente dans quelles conditions l’œuvre a quitté l’atelier de son créateur et d’examiner toutes les informations accessibles pour évaluer les risques.

Du vivant de l’artiste

De son vivant, l’auteur est le seul à pouvoir décider de la divulgation de son œuvre et en exiger le respect. Plusieurs actes peuvent matérialiser sa volonté, tels que l’exposition publique de l’œuvre  à  son  initiative  ou la signature d’un contrat prévoyant la présentation au public. En l’absence d’expression univoque de sa volonté, la recherche de l’intention de l’artiste nécessite l’examen d’un ensemble d’indices.

La signature et la datation de l’œuvre par l’auteur font partie des indices couramment examinés, mais l’appréciation de ce geste dépend des pratiques de ce dernier et du contexte. La cour d’appel de Paris a ainsi pu considérer que la seule présence du monogramme de l’artiste au dos d’une toile ne suffisait pas à établir un consentement non équivoque (cour  d’appel  de  Paris, 22 mai 2013).

La propriété du support étant distincte de la propriété de l’œuvre immatérielle, il est important de noter que le dessaisissement de l’œuvre par son auteur n’équivaut pas en lui-même à la divulgation, ainsi que la Cour de cassation l’a rappelé à plusieurs reprises notamment le 29 novembre 2005 dans l’affaire « décor de Giselle » et le 10 octobre 2018 dans l’affaire Clapton. Ainsi, le don par l’artiste de l’œuvre, surtout à une personne proche, ne prouve pas nécessairement une volonté de la présenter au public. De même, une vente de gré à gré ne témoigne pas toujours d’une volonté de communication dans d’autres sphères. Si la vente par l’artiste constitue un indice fort, cela ne permet pas de conclure systématiquement à une divulgation, en dehors de l’hypothèse d’une vente aux enchères. Depuis une fameuse affaire Camoin de 1931, on sait que le fait qu’une œuvre ait été abandonnée ou déchirée par l’auteur ne permet pas non plus à des tiers retrouvant tout ou partie de celle-ci de se l’approprier pour la vendre, bien au contraire, puisque cela témoigne d’une volonté de ne pas la divulguer. Aussi, le 25 mai 2005, la Cour de cassation a censuré la cour d’appel, qui n’a pas recherché si le fait que Consuelo de Saint-Exupéry ait conservé l’œuvre à son domicile et refusé de la céder pouvait témoigner d’un refus de la divulguer. On peut par ailleurs présumer qu’une œuvre inachevée ou préparatoire, telle qu’une ébauche ou une maquette, n’est pas divulguée et n’a pas à l’être en l’absence d’une volonté clairement exprimée de l’artiste.

Après la mort de l’artiste

Lorsque l’auteur est décédé et qu’il a déjà divulgué l’œuvre de son vivant, elle peut en principe être vendue sans difficulté, car la jurisprudence actuelle considère que le droit de divulgation s’épuise après la première mise en contact de l’œuvre avec le public. La situation est plus complexe lorsque l’œuvre n’a pas été divulguée du vivant de l’artiste. Après le décès de celui-ci, le droit de divulgation, qui est perpétuel, est transmis à ses héritiers, desquels il est important de se rapprocher en cas de doute. Le droit de divulgation obéissant en France à des règles de dévolution spécifiques, le professionnel saisi par un membre de la succession d’un artiste ne peut présumer, du seul fait de cette qualité d’ayant droit, que son mandant est investi de l’exercice du droit de divulgation. En effet, à défaut de dispositions contraires, l’exécuteur testamentaire et la famille priment sur le légataire universel.

En matière de fontes posthumes, après avoir été considéré comme un attribut du droit de reproduction, le « droit de tirage » est rattaché au droit de divulgation depuis une jurisprudence Ping-Ming Hsiung du 30 juin 2021 (cour d’appel de Paris), réaffirmée le 17 mai 2024 dans une affaire Rodin (cour d’appel de Paris). Savoir quel ayant droit peut autoriser ce type de fontes est important : seuls les exemplaires provenant des fontes posthumes réalisées par le titulaire de divulgation peuvent, à certaines conditions, être considérées comme originaux. Les autres sont de simples reproductions, voire des contrefaçons !

Dans le cas particulier des fontes posthumes, le droit de divulgation semble d’ailleurs présenter un caractère progressif : la divulgation s’exerce successivement sur chaque exemplaire tiré, de sorte que la divulgation du modèle ou d’un précédent exemplaire ne vaut pas autorisation de divulguer les exemplaires posthumes qui seraient tirés par la suite.

Les pouvoirs de l’ayant droit titulaire du droit de divulgation sont plus encadrés que ceux de l’artiste lui-même : les titulaires du droit de divulgation doivent respecter les intentions exprimées par l’artiste, et l’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation peut être sanctionné sur le fondement de l’article L. 121-3 du CPI.

En l’absence d’instructions claires laissées par l’artiste, le silence laisse souvent une forme de latitude à l’ayant droit titulaire du droit de divulgation. En cas de litige, les juges recherchent quelle était la volonté de l’auteur de son vivant. Ainsi, le silence gardé par Simon Hantaï à propos d’un projet de vente aux enchères ne témoigne pas d’une volonté de divulgation (cour d’appel de Paris, 28 octobre 2011).

Certaines œuvres doivent faire l’objet d’une vigilance accrue, tels que les manuscrits inédits ou les correspondances intimes, étant observé que la publication antérieure de quelques lignes extraites de lettres d’Albert Camus à Blanche Balain n’a pas été considérée comme épuisant le droit de divulgation sur l’ensemble de la correspondance (cour d’appel de Paris, 8 septembre 2015).

Certains indices doivent donc éveiller l’attention du professionnel qui se voit remettre une œuvre pour la vendre, et ce même lorsque les droits patrimoniaux lui semblent être potentiellement entrés dans le domaine public : le caractère posthume, inachevé, démembré ou particulièrement intime de l’œuvre, l’absence de signature et/ou d’inscription de date, toute trace d’opposition de l’artiste ou d’une partie de la succession…

Il s’agit d’une appréciation au cas par cas, qui peut exiger une prise de contact avec l’auteur ou ses héritiers ainsi qu’une recherche active d’informations sur le parcours de l’œuvre, les pratiques de l’artiste et l’organisation de sa succession. La nécessaire vérification de la divulgation rejoint et complète ainsi d’autres obligations du professionnel chargé de la vente, telles que la vérification des droits des vendeurs et la recherche de provenance. 

HÉLÈNE DUPIN ET MARIE ALLAND SONT AVOCATES À LA COUR, MEMBRES DU CABINET HDA ET DE L’INSTITUT ART & DROIT.


 

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